Claudie Champarnaud
« Le plaisir pur de la peinture ne se retrouve pas sans avoir auparavant surmonté une inhibition » (Catherine Clément in l’Art Contemporain en France). Nous pouvons indéfiniment renvoyer cette phrase au geste du peintre et au regard de l’amateur. Avec les dernières toiles de Reverdy nous y trouvons sans aucun doute une immédiate signification. Notre mental habitué à déchiffrer un message social (au sens large), notre regard sollicité le plus souvent par l’occupation d’un espace fini et/ou répétitif, notre mémoire négligée par la fugacité des œuvres, changent maintenant et ensemble de nature de comportement. C’est que vient « le plaisir pur de la peinture » (voir citation). Ici le geste du peintre est sûr, libre, uniquement contrôlé par le désir et la nécessité : nécessité de désir de la peinture vraie, de « morceau » satisfaisant où s’affrontent, s’équilibrent les couleurs, non pas dans la gratuité mais dans l’exigence.
Je ne sais pas si Reverdy a « fait » des œuvres abstraites aujourd’hui. Je sais que les fulgurances de ces couleurs, subtilement juxtaposées, superposées, librement opposées, existent en dehors de nous. Notre regard trouve les formes, les plans, les volumes, tout ce que le répertoire nous a appris à reconnaître, mais c’est pour les oublier, les détruire presque car, après la satisfaction formaliste (« ça tient »), ce qui reste, ce qui compte, c’est que nous regardons la toile même comme le lieu des pulsions, des désirs (. . . aussi des références savantes et assumées) du peintre. Et enfin, comme le lieu où passe/se passe la peinture.
C’est peu ? Alors, imaginez une toile blanche préparée et épargnée ; des touches précieuses, des traits gestuels et volontaires de couleurs fondamentales riches s’échappent de cette toile et pourtant l’intègrent complètement au tableau ; une écriture que l’on devine et que l’on déchiffre structure aussi les plans. L’œil est d’abord attiré par cet équilibre coloré et puissant quelquefois à la limite du pari mais très vite au-delà et en deça il y trouve l’intensité d’une quête, la profondeur d’une interrogation permanente sur un temps différent, l’appel d’un instant, la contradiction de l’instant qui perdure.
Reverdy a trouvé un nouveau degré de liberté – peu lui chaut que, regardant vingt centimètres carrés, il sache qu’il a pensé à la fulgurance d’un bleu de Bonnard, à des vibrations de Monet, à des imperceptibles passages de Twombly – Reverdy ose – il ose revendiquer qu’il vit en regardant la peinture et qu’il vit pour peindre. Arrivé à une maturité qui lui permet d’affronter les difficultés d’une « technique » qu’il oublie et qu’il domine, il nous donne là à voir sa peinture-peinture et à savourer intellectuellement des préoccupations Temps-Espace que ce regard paradoxal dont il parle bien, découvre au-travers de la lecture de son œuvre.
Claudie Champarnaud,
Septembre 1990